Description
Road trip entièrement écrit par une intelligence artificielle embarquée dans une voiture, 1 the road de Ross Goodwin a rejoint à la rentrée littéraire 2019 toute une série de textes dont le point commun était de mettre en scène et en acte un rêve d’automatisation et d’artificialisation du langage littéraire, dont la généalogie remonte au moins aux premières écritures automatiques de l’Oulipo : l’intelligence artificielle n’est désormais plus seulement une fiction mais un outil à produire des fictions. Les fictions sont autant textuelles qu’imagées. Hito Steyerl revisite la puissance narrative du film documentaire à l’aide d’algorithmes de deep learning pour mieux interroger sa capacité à façonner le réel ; Second Earth de Grégory Chatonsky nous promène dans un nouveau monde dont les images, générées automatiquement, disent déjà l’histoire, tandis qu’en associant deux images à un connecteur logique, il montre la puissance d’un algorithme à créer une petite histoire (If… then, 2009).
Incarné dans des figures, familier, l’IA offre désormais des incarnations qui ne se résolvent pas à l’horizon apocalyptique de robots attendant l’heure de la singularité pour triompher de l’espèce humaine. L’IA n’est plus seulement l’objet d’un fantasme, mais elle devient peu à peu un instrument quotidien à travers la reconnaissance faciale ou les assistants personnels, alors qu’émergent les premiers outils d’écriture prédictive et de recommandation culturelle et l’on annonce qu’un récit produit par une intelligence artificielle aurait été finaliste d’un prix littéraire au Japon. On connaissait déjà la très riche mythologie de l’IA au cinéma, de 2001 l’Odyssée de l’espace à A.I. Intelligence Artificielle de Spielberg en passant bien sûr par Terminator ou Her : à chaque fois, les enjeux politiques, éthiques, sociaux de l’IA ouvrent des pistes de profonde réflexion critique et viennent interroger les catégories philosophiques les plus essentielles par lesquelles nous pensons l’humanité de l’homme et notre place dans le monde. Mais l’IA prend désormais une présence concrète : Databiographie de Charly Delwart propose de retracer un destin en s’appuyant sur des données numériques et leurs visualisations, Lezéroetleun.txt de Josselin Bordat essaye de mettre en scène une intelligence artificielle en phase d’éveil au monde, Kétamine de Zoé Sagan met un scène un journaliste « prédictif » centré sur les données : jamais nous n’avons été aussi proches d’agents artificiels qui s’intègrent dans nos vies.
En passant du fantasme à des outils informatiques, s’ajoutent ainsi aux représentations fictionnelles de l’IA des usages émergents des IA narratives en ouvrant un champ d’opportunité et de peur pour la culture : d’une part, la création par l’IA ou assistée par l’IA peut offrir un champ expérimental majeur intéressant autant les écrivains conceptuels que les scénaristes que les praticiens du storytelling, les plasticiens et les performeurs. D’autre part la manière dont la culture se « dataifie » et celle dont ces datas sont analysées peut affecter profondément l’industrie de la fiction et sa maîtrise de l’attention, multipliant encore notre perplexité face à l’émergence d’une intelligence narrative artificielle.
Pistes de réflexion
- les exemples de fictions produites par l’IA : outils, projets, applications, jeux ; les méthodes informatiques utilisées : GAN, machine learning, deep learning ; les mises en fiction de l’IA : robots, cyborgs, ordinateurs ;
- les thèmes du post-humanisme, de la singularité, les utopies et les dystopies de l’IA ;
- l’histoire culturelle des représentations de l’IA et de ses inventeurs (Alan Turing par exemple) ;
- la critique produite par l’IA : analyse des publics, analyse de scénarios, algorithmes de recommandation culturelle ;
- l’analyse de la fiction par des méthodes IA dans le champ des Humanités Numériques ;
- les problèmes juridiques induits par la création : droit, partage des données, régime fiscal ;
- les esthétiques narratives de l’IA, le lien avec l’art conceptuel et la littérature en performance :
- la transformation des catégories théoriques par l’IA et la modification du vocabulaire de la critique et de la philosophie esthétique, de la notion de narration à celle de littérature ;
- la représentation des problèmes psychologiques, éthiques et politiques induits par l’IA, depuis les trois lois de la robotique d’Asimov jusqu’à Westworld ;
- la dimension philosophique de la réflexion fictionnelle sur l’IA : le problème de la liberté, de la conscience, de l’agentivité, de l’autonomie ;
- l’IA comme manière d’interroger la question des minorités, le thème de la vulnérabilité, les frontières de l’humain, la frontière du genre, la frontière des espèces.