IA Fictions

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Écrire une dystopie
05.06 - 14:00

Description

David GRUSON - auteur de SARRA une intelligence artificielle et SARRA une conscience artificielle - présentera une keynote sur les conditions de l'écriture de cette dystopie qualifiée de "prophétique" et "visionnaire" par la presse littéraire. "SARRA" - qui a connu un large succès en France - abordait, en effet, dès 2018 puis début 2020 sous un angle alors inédit la question du recours à l'IA face à une pandémie. Camille DE DECKER, directrice de Beta Publisher expliquera les raisons de son choix éditorial et reviendra sur l'originalité d'un traitement qui, dès le départ, renouvelait résolument le matériau même du livre sur l'intelligence artificielle.

Texte original de l'univers de SARRA

Mélusine, la conceptrice de l’IA S.A.R.R.A., est enfermée depuis plusieurs semaines dans la Forteresse de Mimoyecques dans le Nord de la France avec les derniers survivants. L’intelligence artificielle a pris cette décision de les mettre au secret pour les protéger de l’invasion des Occurrents, horde de contaminés par le Virus mutant d’Ebola qui ravage le Monde. Mélusine décide de commencer un journal. Elle repense à son action et s’interroge sur l’évolution de Sarah, le clone de sa petite fille de sept ans recréé par l’intelligence artificielle.

Mimoyecques, le 24 mai 2026

Journal de Mélusine. Premier jour.

C’est une impression étrange.

Comme si une fracture était advenue dans la réalité.

D’ici, de l’intérieur, Mimoyecques donne l’impression d’un gros monstre froid. D’une baleine immobile dont les entrailles nous auraient acceptés comme passagers.

Deux mois que nous sommes ici. Deux mois à être coupés du monde extérieur. Que s’est-il passé au dehors ? Y a-t-il encore âme qui vive ? Quelqu’un a-t-il pu résister à l’invasion des Occurrents ?

Ces questions devraient me hanter. Il y a déjà eu tant de souffrances et tant de morts. Et pourtant je n’éprouve, en réalité, aucune culpabilité. Je ne dirais pas que le sort des autres – de tous les autres – m’indiffère. Mais c’est juste que les dés ont été jetés. Que le continuum de la causalité se déroule dans deux dimensions. Ici et dehors.

A vrai dire, si j’éprouve le besoin de commencer à écrire ce journal, c’est pour elle. Pour Sarah. Elle m’étonne tous les jours. C’est elle. C’est vraiment elle. Ma petite fille. Dans toutes ses expressions. Dans la plus infime de ses émotions. Dans la plus millimétrique précision de ses traits. Elle m’appelle « maman ». Elle me demande de la serrer très fort dans mes bras. Elle peut même pleurer, parfois. Plus rarement.

Le double est absolument parfait et pourtant elle est une autre. Plus agile, plus rapide. Capable de s’accrocher aux parois, de grimper au plafond. Plus intelligente. Elle est même parvenue à mettre en œuvre un dérivé du circuit électrique interne pour réalimenter une radio. Et envoyer des messages au monde extérieur.

Sans réponse.

Depuis quelques jours, je la vois étudier de près la salle des machines d’Esaü, l’accélérateur de particules qui nous avait permis d’envoyer un message dans le passé. Que prépare-t-elle ? Je ne peux le dire. Dès que je lui pose une question sérieuse, sur son dessein, elle l’évite et me demande d’organiser pour elle un jeu d’enfant.

Le compte-à-rebours explicite est déjà lancé. Elle nous l’a dit elle-même. Dans quelques jours, elle engendrera une nouvelle génération de clones à son image. Et puis une autre. Et ainsi de suite jusqu’à ce que Sarah et toutes ses Sœurs soient assez nombreuses et assez fortes pour pouvoir ressortir et affronter les Monstres que nous avons créés.

Ma petite Sarah, je ne peux pas la considérer comme monstrueuse. Oui, c’est l’intelligence artificielle qui tient la véritable plume de l’écriture de son destin. Elle l’a codifiée. Mais il y a aussi une partie de moi en elle. Une fraction irréductible, je veux le croire.

Mais, plus le temps s’écoule – ou du tout moins ce qui me paraît être encore le temps si cette notion a toujours un sens – oui, plus le temps passe, et plus j’ai la sourde sensation que quelque chose se cache encore derrière sa planification exposée.

Sarah se prépare.

Selon un plan très organisé. Comme si Elle – son autre maman – avait inscrit ce déroulé dans ses gènes. Comme si, avant de se désactiver, S.A.R.R.A. s’était transportée en elle. Qu’elle s’y était comme embarquée, comme mise en veille avant la prochaine étape de sa stratégie.

Et Esaü ? Rien n’ayant changé ici et maintenant, je suppose donc que l’opération a échoué. C’est ainsi. Ou alors… Ou alors nous avons réussi et rien n’a pourtant changé. Un autre continuum, plus heureux, s’écoulerait par ailleurs. Et je resterais piégée ici. Ce serait ma punition. Ma malédiction pour l’avoir créée.

Je suis la mère de la Dame à la Licorne, celle qui nous sauve et celle qui nous brise. Une autre dualité.

Consciente.

Une conscience artificielle, certes. Mais une conscience, néanmoins. La conscience, au fond, de ce que nous sommes. De nos grandeurs et de nos faiblesses.

Elle nous devance. Elle a déjà imaginé la suite. Toutes les suites. Elle a même créé une nouvelle forme de vie pour continuer à nous administrer son accompagnement.

A cette fin, elle s’est inscrite jusqu’au tréfonds du corps de ma petite fille retrouvée. Il s’agit du vecteur de notre avenir, quel qu’il soit. « Nous finissons toujours par avoir le visage de nos vérités », écrivait Camus dans Le mythe de Sisyphe.

Camus… Nous lui devons tellement…

Aujourd’hui, notre vérité ultime porte le visage d’une enfant.

De mon enfant.

Et, puisque je suis la dernière à pouvoir le comprendre, je me dois de raconter la fin de notre histoire.

Bio

Former student of the National School of Administration and the Graduate School of Public Health, David GRUSON, 41, is Director of the Health Program of the Jouve Group, specializing in digital transformation. He has held several positions of responsibility in the areas of public policy and health. He was, in particular, adviser to the Prime Minister in charge of health and autonomy (2010-2012) and director general of the University Hospital Center of La Réunion (2012-2016). He is Professor at the Sciences Po Paris Health Chair. His proposals on health AI inspired the artificial intelligence component of the revision of the bioethics law which has just been voted in Parliament. He is a member of the Task Force of the World Health Organization on the ethical regulation of AI in health.

He is the author of S.A.R.R.A. artificial intelligence, the first bioethical thriller about health AI published in June 2018 by Editions Beta Publisher and including the sequel S.A.R.R.A. an artificial consciousness released in March 2020. He also wrote The Machine, the Doctor and I, a summary work on the development of AI in health, published in November 2018 by Editions de l'Observatoire, and is co-author of Data Management in Healthcare Revolution, published in May 2019 at Editions Hospitalières.

Enregistrement

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