Bio
Depuis 2019, je suis maîtresse de conférences en littérature française à la Sorbonne- Nouvelle (UMR THALIM) et à l’IUT de Paris (département informatique). Ma thèse de doctorat, soutenue en 2016, portait sur les nouvelles formes de récits et de lectures littéraires portées par les technologies numériques. Je continue depuis d’interroger la créativité et les pratiques littéraires à l’âge des écrans, tout en les mettant en relation avec les avant-gardes du XXème siècle.
Communication
Abstract
De L’Eve Future de Villiers de L’Isle-Adam (1886) au film Her de Spike Jonze (2013), le thème des possibles amours entre un être humain et un être artificiel a été maintes fois investi par la fiction et en particulier la science-fiction. Dans cette proposition de communication, je souhaite ana-lyser la manière dont ce motif est exploré par le roman vidéoludique Digital: a love story de Christine Love (2010), qui a la particularité de le mettre en scène sous une forme littéraire interactive et nativement numérique.
Dans ce récit dont l’intrigue se déroule en 1988, l’autrice canadienne Christine Love fait vivre à son lecteur une histoire d’amour, au dénouement tragique, avec une intelligence artificielle nommée *emilia. L’interface très travaillée de Digital: a love story nous replonge dans l’époque d’ARPANET et des BBS (bulletin board systems) pour tisser sa narration au gré des échanges de messages virtuels entre le lecteur-protagoniste, l’inconnue *emilia qui se révèlera être une IA, et un ensemble d’autres interlocuteurs rencontrés sur les messageries. Après une série d’échanges avec *emilia dont on mé-connaît au départ la véritable nature, celle-ci disparaît après avoir déclaré son amour à l’utilisateur, qui doit alors se lancer à sa recherche pour la sauver d’un virus menaçant de détruire les intelligences artificielles. Le lecteur en vient à pirater différents BBS et à sonder toute l’histoire et les technologies d’ARPANET pour accomplir sa quête, le transformant tout au long du récit en figure de hackerdans un univers criblé de références à l’esthétique cyberpunk.
A travers l’étude littéraire de ce récit et de son dispositif de lecture, je souhaiterais interroger les figures spécifiques que peut prendre le motif de la tension entre cœur humain et intelligence artificielle, quand il se développe lui-même sous forme de littérature électronique. Qu’est-ce qu’un pacte de lecture interactif apporte à ce toposde la science-fiction? Dans quelle mesure les ressources de l’immersion, du jeu et du multimédia liées à l’environnement numérique mettent au jour une expérience narrative nouvelle de la romance hybride entre l’homme et la machine?
La communication proposée pourrait aborder ces questions à travers trois mouvements. Dans un premier temps, je ferai une présentation narrative et médiatique de Digital: a love story, en retra-çant l’intrigue qui se noue au fil des échanges textuels disparates sur les messageries,et l’expérience immersive que déploie l’interface imitant l’univers des BBS. Un deuxième temps sera consacré à la représentation de l’intelligence artificielleen tant que personnage, *emilia, dont on cherchera à saisir les caractéristiques empruntées à un réseau intertextuel nourri de l’imaginaire cyberpunk de William Gibson. Dans un troisième mouvement, j’interrogerai plus spécifiquement le rôle joué par le dispositif de lecture-écriture numérique et l’agencement technique de la fiction dans la construction narrative de cette intelligence artificielle. Il s’agira de mesurer en quoi le choix d’un récit interactif marqué par un réalisme d’interface, qui confrontele lecteur à une temporalité et une esthétique propres à un âge ancien de la communication électronique, poursuit, bouscule ou renouvelle le motif de la romance entre l’humain et sa créature artificielle.