Bio
Sofina Dembruk est assistante scientifique à l’institut des langues romanes (Seminar für Romanische Philologie) de la Georg- August- Universität Göttingen, à la chaire de littérature française (Prof. Daniele Maira) . Elle a tout récemment rendu sa thèse, intitulée « Saincte et precieuse difformité » - Laideur et esthétique chrétienne dans la littérature française de la première Renaissance (1550- 1558) sous la direction de Daniele Maira et d’Olivier Millet (Université Paris- Sorbonne). Son enseignement et ses intérêts de recherche concernent avant tout la littérature de la Renaissance, notamment l’œuvre de Marguerite de Navarre, de Clément Marot, Joachim Du Bellay et de Montaigne. Intriguée par la posture anti- humaniste de Montaigne, elle s’intéresse désormais au post- humanisme ainsi que ses fictions dans la littérature française et espagnole. Sofina fait partie du comité éditoriale de la revue Promptus-Würzburger Beiträge zur Romanistik.
Communication
Abstract
Selon les pronostics des sexologues(Hooton 2015), le sexe robotique pourrait se normaliser, voire devenir une forme privilégiée se substituant aux rapports intra-humains, autour de l’année 2070. Une telle robophilie à venir est certes susceptible de provoquer des imaginaires dystopiques et surtout de révéler des fantasmes sexistes, soit l’objectification et la subjugation de la femme par une technologie ou intelligence artificielle associés a priori au paradigme masculin. C’est que la fiction littéraire n’a cessé d’imaginer l’androïde comme un (techno)-fétiche masculin: depuis ses fondements du mythe pygmalien, en passant par l’Hadaly dans L’Ève future de Villiers d’Isle-Adam, jusqu’aux hosts de Westworld (1973) ou sa parodie pornographique Sexworlds (1978).Outre la dimension genrée, ouvertement patriarcale, de ses représentations de sex bots, ces fictions permettent également d’envisager de nouvelles formes de sexualité, sinon de nous interroger sur le malaise des anciennes. S’agit-il de formes libératrices du désir ou faut-il y reconnaître une dégénérescence perverse?
Au regard de ces sexualités en devenir, ma contribution vise à approcher cette problématique par le biais de deux nouvelles, rassemblées tout récemment par Teresa Pellisa-Lopez dans une anthologie intitulée Poshumanas (2018) regroupant des narrations de science-fiction par des auteures féministes d’expression espagnole. Il s’agit d’un corpus littéraire guère étudié, sachant que les études critiques focalisent à cet égard la culture et littérature populaire d’expression anglo-américaine (Carper 2019). Nous nous intéressons donc à voir de quelle manière la fiction espagnole est susceptible de reproduire ou de renouveler le débat autour de la techno sexualité par un langage qui serait propre aux écrivaines hispanophones. L’enjeu de mon propos sera de mettre en évidence comment les deux récits sélectionnés brouillent des discours critiques et spéculatifs vis-à-vis là téchnosexualité, laissant à débat le dilemme éthique d’un désir artificiellement induit.
La nouvelle «Casas rojas» (Nieves Delgado, 2014), primée par le Premio Ignotus en 2015, raconte une enquête menée par la protagoniste Ángela Montenegro auprès de l’entreprise CorpIA, une fabrique de sexbots dont elle réalise dans toutes les variantes possibles. Le récit aborde un vaste questionnaire autour des androïdes sexuelles: La question morale, surtout quand il est question des sexbots infantiles; la question d’une auto-conscience et d’une sensibilité empathique chez les sexbots («un androide que se siente humano») et les droits de robots qui en dériveraient («leyes robóticas»), notamment pour leur utilisation dans la prostitution. On rencontre même l’idée d’une psychologie des sexbots («psicoligía des sexbots») qui ferait, par exemple, que Sylvana, l’androïde personnelle du chef de CorpIA, fait état d’un manque de jouissance pendant l’acte, faisant d’elle une «machine désirante», (Deleuze et Guattari (1972/3). Supériorité du désir robotique que mentionne Jason Lee dans son livre Sex Robots. The Future of Desire (2017): «but what if a sex robot was programmed to have its own individual preferences that overcome yours?».
Le deuxième exemple suit une dynamique inverse, faisant l’éloge d’une technologie du désir. Autant les sexbots gagnent en auto-conscience quant à leur propre désir, autant la capacité à désirer des humains se trouve en déclin.Tel est le cas de la protagoniste du récit bref «Electroamor» (María Laffitte, 1959). Tourmentée par des crises d’angoisse névrotiques suite à un chagrin d’amour, la jeune narratrice de 27 ans développe une frigidité sexuelle, qui s’aggrave d’une aliénation par le travail faisant d’elle une automate («Trabajé todo el día como una autómata».) Cet état d’asexualité s’explique pour le reste par un sentiment de manque deféminité («Soy fea. [...] No tengo eso que se lllama encanto femenino»). Ce n’est que par l’intervention du «psicorreceptor», une espèce d’apparat insolite induisant des chocs électriques, que son médecin(-alchimiste) lui fait subir l’expérience, qu’elle se trouve, éprise par le «eros electrónico» transformée en «machine désirante».Son verdict sur cette technologie est sans équivoque: «Buena intelligencia. Fuerte libido.»